Quelques extraits d'un entretien avec Frédéric Voisin, musicien et informaticien, au sujet de son parcours et particulièrement de son projet en cours : les Madeleines Sonores. Dans un Ehpad en Bourgogne, il conçoit et installe des paysages sonores pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
Le parcours de Frédéric Voisin
Frédéric Voisin a étudié la musicologie en Sorbonne, la sémiologie à l’EHESS, la linguistique inuit à l’Institut National des Langues Orientales (INALCO).
Son parcours professionnel commence en 89, lorsqu'il développe pour le CNRS, avec l'ethnomusicologue Simha Arom, les premières expériences d’ethnomusicologie interactive avec analyse/synthèse audionumérique en Centrafrique et en Indonésie.
Assistant musical à l’Ircam de 1995 à 2004, puis réalisateur indépendant, il participe à de nombreuses créations musicales auprès d’associations, de compositeurs, de chorégraphes et de réalisateurs de renommée nationale et internationale.
A la croisée des domaines artistiques, scientifiques et techniques, ses recherches sont présentées et mises en œuvre lors de conférences, d’ateliers, d’installations musicales et de concerts.
Il exerce actuellement une activité indépendante de création et de design, enseigne l’informatique musicale dans différents cadres associatifs, universitaires et de formation professionnelle...
Frédéric Voisin raconte dans le détail son parcours atypique d'artiste expérimentateur entre musique et science dans le podcast qui lui est consacré et que je vous conseille vivement d'écouter.
Vous pouvez écouter ici l'intégralité (38 mn) de cet entretien avec Fred Voisin :
Extraits de l'entretien - Alzheimer et Madeleines Sonores
Bruno de Chénerilles : - Comment ce projet des Madeleines Sonores a-t-il commencé, quelle en est l'origine ?
Frédéric Voisin : - … Je travaillais avec les Universités de Bourgogne sur un projet de recherche dans lequel on essayait de voir comment la musique peut ralentir l'évolution de la maladie d'Alzheimer.
Et un médecin, le Dr Jeannin m'a contacté parce qu'il avait eu connaissance de ce projet de recherche et il m'a expliqué de son point de vue comment le son en général, pas seulement le musique, peut aider les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, comment il peut participer à ralentir l'évolution de la maladie.
Je trouvais son approche tout à fait pertinente et je pouvais tout à fait l'aider à mettre en œuvre ses idées du point de vue sonore.
On a étudié la question ensemble. Il s'agissait surtout de faire revenir des souvenirs anciens à travers le son. Et nous avons commencé à expérimenter dans l'Ehpad dans lequel il travaille. Et ça marche pas mal en effet. Indépendamment de l'évolution de la maladie, les patients se souviennent très bien en fait de l'origine des sons qui leur rappellent des souvenirs personnels anciens...
BC : - Pourrais-tu décrire très simplement les dispositifs techniques que tu as mis en place dans cet Ehpad ?
FV : - … Je me suis d'abord occupé des espaces communs. Il s'agit d'une unité Alzheimer fermée, sécurisée. Les résidents ne peuvent pas en principe sortir parce qu'ils ne sauraient pas revenir donc c'est pour éviter qu'il se perdent ou qu'il leur arrive un accident. Il faut bien en avoir conscience que c'est un environnement confiné et qu'ils vivent là pendant des mois, même des années.
J'ai commencé à diffuser des sons plutôt sympathiques, qui rappellent des choses qui existent dans la réalité au dehors, c'est-à-dire par exemple un clocher. Comme il y a du double vitrage, on entend pas les sons qui viennent de l'extérieur, surtout l'hiver où les fenêtres sont fermées. Et puis aussi des oiseaux. J'essaie de restituer en fait l'environnement extérieur à l'intérieur et sous forme de balises, de repères sonores dans les différents espaces communs de l'établissement.
Et ensuite il y a la deuxième étape où j'ai commencé à sonoriser les chambres individuelles. C'est assez différent. L'idée c'est de diffuser des sons qui rappellent à chacun de manière individuelle des souvenirs personnels qui sont liés à l'histoire de leur vie, si possible des souvenirs anciens.
Il faut savoir que la maladie d'Alzheimer affecte les mémoires plutôt immédiates, les mémoires de travail, les mémoires a quelques heures où a quelques jours ou quelques semaines. Mais ce qu'on appelle la mémoire épisodique, les souvenirs anciens eux restent pour leur plus grande partie.
Donc les patients se souviennent assez bien de leur jeunesse, même de leur enfance. Pour moi il s'agit donc de rechercher des sons de la vie, des activités qui correspondent aux années d'après guerre pour ces générations de malades ...
Le dispositif sonore pour les malades Alzheimer de l'Ehpad
Disposition des haut-parleurs dans les espaces communs de l’Unité Alzheimer :
- Les points de diffusion des points de repère dans les espaces communs : séquences anthropophoniques (activités humaines, géophoniques (sons des éléments) et biophoniques (animales)
- Les chambres ont chacune deux points de diffusion (cercles bleus plus petits).
BC : – Quels rapports entretiens-tu avec l'équipe soignante ? Ce sont simplement des retours que tu as où est-ce que l'équipe soignante te suggère aussi des choses directement , des nouvelles choses auxquelles tu n'as pas forcément penser ?
FV : - … La question du feed-back, du retour, c'est très fondamental. Moi je commence à suggérer des choses et après le personnel qui est là sur place pratiquement 24 sur 24 peut effectivement me faire le retour sur la perception des patients. Et donc ça me permet de m'adapter et d'aller plus loin.
Par exemple un son qui pourrait évoquer un sentiment de tristesse chez un patient pourrait être jugé comme étant négatif ou mal venu, mais du point de vue d'un médecin, c'est important. Un souvenir peut être triste, mais l'important c'est qu'il y a une émotion.
Il s'agit bien de faire revenir des émotions, qu'elles soient gaies ou tristes. Dans la limite d'un point de vue strictement médical, l'important c'est ce que le patient a vécu et d'entretenir ce souvenir là....
Les pensionnaires peuvent très bien choisir des points d'écoute dans les espaces communs, sous les haut-parleurs implantés dans le plafond.
BC : - C'est beaucoup de contraintes pour ta création sonore, mais j'imagine quand même qu'au niveau de la motivation et de la créativité, ça peut être aussi une dynamique très forte, non ?
FV : - … La contrainte, ça c'est une règle de base. Je pense qu'un artiste ne peut pas créer sans contrainte. En fait c'est le cadre pour sa création. Par exemple, un peintre a besoin d'un cadre pour son tableau. Il va choisir un format, ca va devenir une contrainte et il va partir de là... C'est pareil pour la musique.
Et pour moi, la musique c'est particulier : je suis plus sensible à ce domaine-là car mes études des musiques du monde m'ont fait comprendre que les structures musicales que produit une certaine société, sont à l'image de la représentation qu'elle se fait du monde.
En tout cas ma pratique de la musique, de la création musicale est très expérimentale comme pour beaucoup d'artistes d'ailleurs. Et puis finalement c'est une recherche aussi. Un artiste, comme un chercheur scientifique, c'est pareil il va consacrer sa vie à confirmer ses intuitions et son style, sa manière de représenter le monde.
Je vois çà comme ça : c'est très très naturel pour moi la relation entre la musique et les mathématiques ou la neurobiologie. Le travail que j'ai fait par exemple de création de réseaux de neurones artificiels sur un ordinateur, ça m'a appris à comprendre le fonctionnement du cerveau.
Alors après quand on travaille sur la maladie d'Alzheimer et la dégénérescence cérébrale, on en est tout proche...
BC : - Et finalement, tu es dans une forte relation entre Art et Science, mais aussi entre Musique et Société, n'est-ce pas ?
FV : - … Exactement. A ce sujet, je côtoie dans ce travail aussi des musiciens-intervenants qui viennent faire de la musique avec beaucoup de passion et d'engagement avec les patients. C'est tout à fait complémentaire avec mon travail qui lui relève aussi de la musique, mais au sens de Murray Schafer, la musique du monde, les paysages sonores du monde et de notre mémoire.
La pluie, l'orage, les ruisseaux, l'eau, les craquements, des choses comme ça, voilà mes matériaux. C'est une autre approche artistique.
Et une fois que le système informatique est installé, je disparais, je ne suis plus là. Mais d'une certaine manière, je reste là, dans le programme que j'ai écrit qui lui est joué. Il continue à être joué en mon absence...
BC : - Comment un tel projet, atypique et au long cours, complètement hors cadre, peut-il se financer ?
FV : - … Il faut évidemment qu'il y ait une forte motivation de l'équipe soignante et administrative au départ, ce qui est le cas dans ce projet. Donc cette implication très forte du système de santé nous a permis déjà d'obtenir des aides du Département et de l'Agence Régionale pour la Santé.
Mais il s'agit aussi d'obtenir des soutiens publics, académiques à la recherche scientifique. Et il nous faut encore chercher des soutiens des fondations privées, notamment de celles qui s'occupent de la maladie d'Alzheimer...
Vous pouvez écouter l'intégralité de cet entretien avec Frédéric Voisin sur notre podcast Plan Sonore.
Plus d'infos sur Frédéric Voisin, son projet des Madeleines Sonores et ses autres activités, actions et expérimentations sur son site internet : http://fredvoisin.com
Vous pouvez écouter ici l'intégralité (38 mn) de cet entretien avec Fred Voisin :
A lire aussi